L’Oeil éclos #35

Gavin TurkHabitat, bronze peint, 2004

« Successful art is that which is most misunderstood by the greatest number of people. » – Gavin Turk[1]

Gavin Turk (1967 -) est un artiste anglais qui vit et travaille à Londres. Il est surtout reconnu pour sa pratique de la sculpture, où il explore diverses techniques et matériaux tels que le bronze, la cire et même des objets du quotidien comme des déchets. Dès ses débuts, Turk a attiré l’attention du monde de l’art. En 1991, le Royal College of Art lui a refusé son diplôme à cause de son installation provocante Cave : un atelier vidé, peint en blanc, orné d’une plaque commémorant sa propre présence dans l’atelier entre 1989 et 1991. Ce geste lui a valu un certain scandale, mais a aussi attiré l’attention du célèbre collectionneur Charles Saatchi, ce qui a porté Turk dans le groupe des Young British Artists (YBA), connus pour leur art polémique et insolant.

À travers ses œuvres, Turk interroge la société contemporaine, et plus particulièrement le monde de l’art. Il recontextualise des objets du quotidien, bouleversant ainsi les notions d’autorité, de signification et l’identité de l’artiste dans l’histoire de l’art. Il questionne le rôle de l’artiste dans une société capitaliste et les valeurs qui lui sont attribuées. Souvent, il détourne et remploie des œuvres d’art très célèbres ; ses travaux entrent en dialogue avec d’autres artistes, comme dans la tradition d’Andy Warhol et Jasper Johns.

Le bronze, un matériau avec une forte connotation historique, joue un rôle clé dans de nombreuses œuvres de Turk. Utilisé depuis la Renaissance pour célébrer des figures de pouvoir et des sujets importants, le bronze est ici subverti : Turk utilise ce matériau aussi prestigieux pour représenter des objets du quotidien, incitant à réfléchir sur les critères qui définissent la valeur d’une œuvre.

Habitat (2004)
Habitat est l’un des exemples les plus frappants de cette démarche. Cette sculpture en bronze représente un sac de couchage, objet ordinaire de l’environnement urbain, associé aux sans-abris. Le titre, « Habitat », évoque généralement l’idée d’un intérieur confortable, mais ici il fait référence à un « foyer » précaire. Ce choix de sujet critique l’individualisme de la société contemporaine, tout en soulignant son indifférence croissante envers les personnes marginalisées.

Avec sa surface apparemment usée et sale et ses formes évoquant un paysage naturel, Habitat semble d’abord doux et réconfortant : pourtant, le trompe d’œil se révèle dans la matérialité inflexible de l’œuvre, rigide et fixe, chaque pli du nylon froissé étant figé dans le bronze.

[1] Monograph, prèmiere monographie de l’artiste, écrit par Iain Sinclair and Judith Collins, 2013, ed. Prestel

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